La Belgique obtient accidentellement les plans d'invasion allemands.
Le 11 janvier 1940, Keitel signe un ordre de l'OKW qui fixe le "jour A" au mercredi 17. L'heure Z sera "quinze minutes après le lever du soleil à Aix-la-Chapelle, c'est à dire à 8h16".
Les mots d'ordre Rhin ou Elbe seront donnés, selon les circonstances atmosphériques, au plus tard le "jour A" +1, à 23 heures, Rhin signifiant attaque et Elbe, ajournement.
Il faut un incroyable épisode rocambolesque (que raconta avec talent Jean Van Welkenhuyzen dans la revue d'histoire de la seconde guerre mondiale) pour faire remettre le "jour A" à plus tard.
Le 10 janvier, par une matinée brumeuse et glaciale, à 11h30, en Belgique, près de Mecheren-sur-Meuse, un petit avion de tourisme s'écrase sur deux arbres, le moteur s'encastrant dans une haie. Les soldats du poste frontière voisin, accourant aussitôt, découvrent deux hommes en long manteau gris, l'un s'activant à brûler des papiers. Les soldats bondissent sur ce dernier individu et éteignent les documents enflammés. Le corps de garde identifie vite les deux hommes comme étant deux officiers allemands. Ceux-ci donnent d'ailleurs leur identité: major de réserve Hoenmanns, pilote, major d'active Reinberger. Ils disent s'être égarés, ils se sont trouvés en panne d'essence en plein brouillard. Ils ne savaient pas qu'ils volaient au-dessus de la Belgique et demandent de prévenir de l'accident, sans plus attendre, l'ambassade allemande.
Vient tout à coup une scène étonnante. Un poêle en fonte ronfle dans un coin, brusquement Reinberger, qui semblait sommeiller affalé sur une table, se dresse, arrache le couvercle du poêle et jette au feu les papiers négligemment laissés par les Belges sur un meuble. Le capitaine-commandant Rodrigue, bondissant, ne réussit à arracher les documents aux flammes qu'en se brûlant grièvement les mains, "vous êtes bien allemand", grogne-t-il.
Pire: Reinberger se précipite sur le revolver de l'officier belge. Rodrigue doit le lui arracher des mains. "Sale boche!" Fait-il. On voit l'Allemand, comme désespéré, se frapper la tête contre le mur. "Je ne voulais pas tirer sur vous, dit-il à Rodrigue, je suis un homme fini. Je voulais me suicider. « Pardonnez-lui, dit Hoenmanns, c'est un officier de métier.
On ne saurait pourtant mieux attirer l'attention sur l'importance des papiers. Les Belges font ainsi venir des officiers de l'état-major général, qui pourront compulser ces documents.
Ahurissement général : ces papiers décrivent une prochaine offensive de vaste envergure au travers de la Belgique, avec enlèvement des forts de Liège et saisie des ponts de la Meuse dans la région de Dinant par la 7ème division de parachutistes. Date prévue : le 17 janvier, à peine sept jours plus tard.
Et on en apprend vite d'avantage sur l'équipée des deux accidentés. Ils ont fait connaissance la veille au soir au casino des officiers de Munster. Ils y ont honoré le schnaps plus que de raison. Hoenmanns, pilote de la grande guerre, dit à l'officier d'état-major Reinberger qu'il part le lendemain matin pour Cologne à bord d'un avion de tourisme Messerschmitt Taifun. Reinberger s'y invite, Hoenmanns est d'accord. Mais Reinberger viole une consigne stricte, celle qui interdit à tout officier d'état-major d'emprunter la voie aérienne s'il est porteur de documents secrets. Or, rien ne saurait être plus secret que les ordres qu'il porte à sa 7ème division. Sans doute aura-t-il trouvé les trains de guerre trop encombrés ou peut-être avait-il à Cologne un rendez-vous galant ? Quoiqu'il en soi, il ne résiste pas au plaisir de voler. Par malheur pour les deux lurons, le brouillard les surprend au-dessus de la Ruhr. Ils tournent en rond, finissent par manquer d'essence, découvrent dans une éclaircie un fleuve qu'ils croient être le Rhin et se pose en catastrophe. Le Rhin, c'était la Meuse ! Ils n'ont même pas d'allumettes pour brûler les papiers, ils doivent en emprunter à un paysan qui ne parle pas un mot d'allemand. A peine ont-ils fait flamber une allumette que les soldats belges surviennent.
L'ambassadeur téléphone à Keitel, qui avertit Hitler. Autre colère énorme du Führer. « la plus forte tempête que j'aurai vue de ma vie », dira Keitel. Hitler vocifère durant plus d'une demi-heure, la bave aux lèvres, maudissant tous les traîtres et tous les incapables de l'état-major. Brauchitsch doit entendre siffler ses oreilles. On réuni immédiatement les principaux généraux. Deux solutions s'offrent : ou attaquer sans délai, avant que l'ennemi ait le temps de prendre des mesures de défense ; ou ajourner l'attaque afin de refaire le plan en possession des belges. « Je vai réfléchir », décide finalement le Führer.
Reste néanmoins à connaître le plus beau de l'histoire : les Français croient à un coup monté.
Dans l'après-midi du 11 janvier, le général Van Overstraeten, conseiller militaire du roi et vrai chef de l'armée belge, fait rapport sur le sujet à Léopold III et au général Denis, ministre de la guerre. Ils décident de prévenir Gamelin. A 17h15, ils convoquent au palais le colonel Hautecoeur qui fait la liaison avec le généralissime français. On lui montre les documents, même si les belges ne révèlent pas de quelle manière ils les ont saisis. On se limite à lui donner une note de deux pages. Ils lui disent avoir d'autres renseignement qui recoupent la même vérité : le 26 décembre, Ciano, s'appuyant sur une dépêche de son attaché militaire à Berlin, a prévenu les ambassadeurs belge et hollandais à Rome de l'imminence d'une attaque par la Belgique (durant une courte période où le Duce est en froid avec le Führer). Le 30 décembre, Ciano, toujours lui, a donné le même avertissement à la princesse Marie-José, épouse du prince héritier italien, en lui demandant d'alerter son frère, le roi Léopold III. Le 2 janvier, Ciano récidivait, prévenant l'ambassadeur belge comte de Kerchove de Denterghem. Le 6 janvier, un avertissement de même nature arrivait du Vatican, un autre de Suède. Mais cette fois, avec ces documents de la 7ème division, c'est du très très sérieux !
Mis au courrant dans la nuit par Hautecoeur, Gamelin tient conseil officieux à son QG de Vincennes le 12 au matin avec Georges, Doumenc et quelques autres officiers des trois armes. Le colonel Rivet, du 2ème bureau, est plutôt sceptique ; ils refusent de prendre l'incident au sérieux ; ils estime que le but allemand, très clair, est de nous affoler, de nous attirer en Belgique pour nous faire accuser, nous, de la violer ; « un truc », juge l'officier le plus malin. Gamelin se limite à envoyer l'ordre d'alerte N°1 au groupe d'armée de Billotte et à l'armée de Condé. Billotte prenant de nouvelles positions de manière à pouvoir entrer en Belgique dès l'appel du roi. Il n'en reste pas moins que, dans le même temps, le Führer, après avoir cassé le commandant de la 2ème flotte aérienne, le général Helmuth Felmy, et son chef d'état-major, Josef Kammhuber, qui n'y sont pourtant pour rien, décide de maintenir son ordre d'attaque à la date prévue, le 17 quinze minute avant l'aube.
Le 13 janvier, tandis que Gamelin inspecte des troupes à Verdun, le général Laurent, attaché militaire français à Bruxelles, est saisi d'un identique avertissement par le colonel Sas, attaché militaire hollandais à Berlin, ami intime du colonel antinazi Oster. Le colonel Goethals, l'attaché belge, confirme : les allemands attaqueront dès le lendemain. Dans deux jours, indique un autre intervenant. Le roi met ses troupes en état d'alerte. Mais le haut commandement français maintient son analyse : du bluff.
Le 14 janvier, Hitler est encore décidé à attaquer le 17, encore que Keitel trouve que, « si l'ennemi est réellement en possession de tous les dossiers, la situation sera catastrophique ». Mais cette fois, côté ouest, ce sont les belges qui cafouillent. Au général Delvoie, attaché militaire belge à Paris, puis à Spaak qui téléphonent à Gamelin dans la nuit, le généralissime dit qu'il ne croît pas du tout à une attaque. Pourquoi ? « Il neige et l'aviation ne peut pas grand-chose ». Simplement, profitant de l'occasion, il indique à ses interlocuteurs que la Belgique serait beaucoup plus sage en appelant à son aide les troupes françaises avant toute attaque allemande. Il insiste même, encore que Georges n'en soit pas d'accord. Informé que les belges n'ont pas encore enlevés à la frontière les barrières qui bloquent l'accès du pays aux troupes françaises, Gamelin va jusqu'à alerter Daladier, lui demandant de mettre les dirigeants belges devant leurs responsabilités. C'est l'aube, Daladier donne aux belges vingt heures pour répondre. Hélas ! Le gouvernement belge délibère toute la journée et se refuse à prendre une décision qui, explique-t-il, provoquerait immanquablement une attaque allemande et ferait de la Belgique le premier champ de bataille. Il finit par absolument refuser tout appel aux forces françaises. Le haut commandement français est même avisé que, si un de ses soldats pénètre en Belgique, il sera immédiatement considéré comme ennemi. En vérité, on peut comprendre le désarroi des belges. Si Hitler attaque, et prend l'initiative, ils feront appel trop tard aux troupes françaises, qui pourront elles-même être trop bousculées. Si appel est fait aux troupes françaises avant toute attaque allemande, ils donnent à l'Allemagne un formidable prétexte pour intervenir ; on verra le violeur crier au viol.
Le 15 janvier, Les barrages belges face à l'armée française sont encore renforcés. Par bonheur, du moins pour l'immédiat, Hitler se résout à retarder de deux ou trois jours l'ordre d'attaque. Il s'est laissé convaincre que la Wehrmacht ne pouvait plus bénéficier de l'effet de surprise.
Le 16 janvier, Hitler retarde son ordre sine die.
Source : Le drôle de guerre de Arthur Conte aux éditions Plon 1999.
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